Le journalisme, dit-on, est un métier noble. Pourtant en République Démocratique du Congo, les journalistes sont de plus en plus nombreux et les médias naissent comme des champignons. . Et le traitement réservé aux professionnels des médias est loin d’être à la hauteur. La situation des journalistes est préoccupante. L’absence de contrats de travail, l’irrégularité des salaires sans oublier le manque de sécurité sociale nuisent non seulement à leur bien-être personnel, mais aussi à la qualité du journalisme.
Tous les noms des journalistes intervenants dans cet article ont été modifiés par mesure de sécurité. (1).
Une profession en crise
Les responsables des médias peuvent être des professionnels aguerris ou des novices, et, certains journalistes formés et d’autres ignorants du code et l’éthique qui régissent cette profession. Le problème, tant décrié par plusieurs acteurs du secteur, est la précarité qui ronge ce métier. Les révélations sont alarmantes : plusieurs journalistes n’ont pas de contrats, leurs salaires sont irréguliers et leurs droits humains sont souvent bafoués. Beaucoup sont contraints d’accepter des coupages pour survivre, sans aucune forme d’humanisme.
Les journalistes sans contrat
De nombreux journalistes travaillent sans contrat en République Démocratique du Congo. Certains affirment n’avoir pas eu le courage de poser cette exigence avant de se lancer, estimant que le système dans lequel ils évoluent a déjà tout défini.
Gédéon est journaliste dans la province du Katanga ; il témoigne : « Je n’ai pas de contrat de travail. Depuis 2014, lorsque j’ai intégré de manière officielle un média de renom de la région. » .(1))
D’autres affirment ne pas avoir le choix, car l’employeur n’accorde pas la possibilité de signer un contrat. La peur de perdre leur emploi les pousse à accepter cette situation : « Nous préférons d’abord commencer sans contrat, et certains nous mettent en confiance au début en disant que nous aurons un contrat écrit. Dès que vous vous lancez, vous n’avez plus aucun droit, seulement le devoir. », nous a affirmé Prince, toujours au Katanga. ‘(1).
Dans la capitale congolaise, Kinshasa, Patrick (1), journaliste dans la presse écrite, avoue n’avoir jamais signé de contrat depuis qu’il a commencé son travail en 2019. Actuellement, il évolue dans une chaîne où il n’existe qu’un contrat verbal : « Non, je n’ai jamais eu de contrat de travail depuis que j’ai commencé ma carrière. Mais heureusement, ici, il y a un contrat verbal, mais vous pouvez être chassé n’importe quand. »
Des exceptions rares
Bien que la majorité des journalistes n’aient pas de contrat, quelques exceptions existent. Parfait est un journaliste travaillant pour un média dans la capitale Congolaise. Il rassure que son contrat a été signé en 2020. D’autres comme Stéphane (1), avouent avoir connu des périodes d’instabilité avant de signer leur contrat. Il témoigne : « J’ai signé mon contrat de travail comme journaliste le 4 juin 2020. » .
Paluku (1) est un journaliste évoluant dans un média à l’Est de la RDC qui déclare : « J’ai un contrat de travail, mais auparavant, j’ai connu des périodes d’instabilité. Cela a freiné ma progression professionnelle. », nous dit-il.
L’impact de l’irrégularité salariale
Outre l’absence des contrats, les journalistes font face à l’irrégularité des salaires, avec comme conséquences un impact négatif sur la vie sociale des journalistes.
Siméon, journaliste travaillant dans une chaîne de radio et télévision à Lubumbashi affirme qu’il exerce depuis près de 4 ans sans contrat et que son salaire n’est pas régulier : « Depuis environ 18 mois, je suis sans salaire régulier. Cela me cause des soucis financiers. Sur le plan professionnel, cela me rend moins actif et concentré. ».
La situation d’impayées et des arriérés laisse certains complètement désespérés.
« 6 ans sans salaire, manque d’avantages en tant que travailleur, le risque d’être renvoyé à tout moment sans préavis, telle est ma situation comme une épée de Damoclès sur ma tête», affirme Gracia, journaliste à Lubumbashi (1). « Depuis le début de ma carrière, je n’ai pas encore eu de contrat de travail. Cela entraîne une insécurité sociale terrible », a confié cette jeune journaliste qui exerce depuis 10 ans aujourd’hui.(1).
Certains journalistes, malgré la signature des contrats de travail, ne bénéficient pas d’une régularité salariale .
« Ça fait deux ans que je travaille sous contrat, mais mon salaire n’est pas vraiment régulier. Cela m’oblige à me tourner vers d’autres activités privées pour subvenir à mes besoins. » , affirme Landry, journaliste au Katanga.(1)
Marie-Claire quant à elle, ancienne journaliste basée toujours dans la capitale cuprifère, a récemment arrêté d’exercer après sept années de mauvaises conditions de travail dont deux ans sans contrat et un salaire irrégulier. Elle explique : « Je ne pouvais plus subvenir aux besoins familiaux et personnels. C’était une perte de temps pour beaucoup et un égoïsme de la part de certains. », déclare-t-elle de guerre lasse.
Une quête de dignité
L’absence de contrat est vécue comme une absence de sécurité d’emploi par plusieurs journalistes de la RDC.
« Je travaille depuis 4 ans sans contrat, avec un salaire irrégulier. Cela engendre une instabilité financière, des difficultés à planifier l’avenir, du stress et de l’anxiété. », avoue Thierry, journaliste évoluant à Kinshasa.(1)
Cette réalité bien que majoritaire, ne semble pas la même pour tous les journalistes de la RDC .
Grâce est journaliste à Kinshasa. Elle avoue recevoir son salaire chaque fin de mois, malgré le manque de temps pour sa famille : « Ça fait cinq ans que je travaille avec contrat et salaire régulier. Cela me permet de couvrir mes besoins vitaux, mais cela a un coût sur ma vie personnelle. », affirme-t-elle. (1).
Le courage d’ester en justice
Des journalistes ont eu le courage de ramener leurs dossiers devant les instances juridiques habilitées. Malgré cette volonté, les moyens ont fait défaut pour poursuivre avec la procédure.
« J’ai évolué au sein d’une chaîne de TV avec un contrat initial de trois mois, une fois renouvelable. Après les trois mois, nous n’avons pas renouvelé, six mois, aucun renouvellement. Nous avons commencé à travailler comme ça. Sans ajouter les irrégularités de paie, pas de transport, la prime selon leur volonté. À un moment, nous avons enregistré des arriérés et l’entreprise nous doit là plus de 4500 dollars. », raconte Emmanuel (1).
Il poursuit : « J’ai amorcé les démarches, je suis allé à l’inspection provinciale du travail. J’ai introduit mon dossier, on a envoyé les invitations, deux ou trois fois à la société et personne n’a répondu. On a transféré au niveau de la mairie. Là, le dossier traîne à mon niveau, par manque de moyens financiers. C’est une histoire qui doit aller jusqu’à des procès, j’ai d’abord stoppé. » témoigne-t-il.
Le cas d’Emmanuel est un parmi tant d’autres. « Ici, je suis arrivé en janvier 2025 et j’ai parlé avec le DG arguant de la nécessité de travailler sous un contrat. Au bout d’un mois, ils ont apprécié mon rendement et le contrat ne venait toujours pas. Après, à un moment, on vient nous donner 75 000 Francs congolais comme prime. C’était comme une sorte de foudre, je me suis décidé de claquer la porte. Le promoteur n’était pas sur place. Mes collègues m’ont interdit de partir porter plainte. J’ai arrêté d’y aller sans démissionner. Et depuis quelques jours, je n’y vais plus, et je n’ai pas démissionné non plus. » raconte Hervé. (1).
Coupage : stratégie de survie pour certains journalistes
Le coupage, cette somme modique ou pas donnée à un journaliste après la couverture d’un évènement; est désormais la croix de secours des journalistes en RDC, et est considéré comme un moyen de survie. Une pratique devenue normale pour plusieurs journalistes sur l’ensemble du territoire national.
« Par instinct de survie, oui ! Obligé de voir comment vivre et tenir malgré l’absence de salaire, et même l’insuffisance de ce dernier. », affirme Franck , journaliste basé à Kinshasa. (1)
« Oui, le journalisme exige parfois une gestion prudente des mots, surtout dans un pays comme le nôtre (RDC) où les journalistes sont muselés, la liberté de presse est limitée ou menacée. Dans certains cas, pour préserver ma carrière ou garantir ma sécurité, j’ai dû pratiquer une forme d’autocensure. Cependant, pas pour compenser l’absence de revenus, plutôt pour ma sécurité. », raconte pour sa part Junior , à Kinshasa, sur le coupage et la sécurité des professionnels des médias. (1)
Si certains disent avoir été tentés de s’en passer, d’autres reconnaissent que cette pratique perdure à cause de l’irrégularité des revenus. Certains autres affirment que c’est un moyen de corruption adéquat pour éviter le traitement de certains sujets sensibles par les journalistes. Ceux qui acceptent le « coupage »,, reconnaissent que cela peut nuire à l’éthique journalistique et à la qualité de l’information.
» Je n’ai pas de salaire régulier, le fait de recevoir un coupage à chaque couverture d’une activité me permet de subvenir à mes besoins et ceux de ma famille », affirme Caleb, journaliste évoluant à Kinshasa.
Un autre rencontré, Orphée, affirme que cette pratique sauve surtout lorsque le salaire est irrégulier : « Il m’est déjà arrivé d’accepter cette pratique pour pouvoir subvenir à mes besoins, surtout dans la période où le revenu était inexistant ou très irrégulier. Et quant à l’autocensure, c’est parfois une stratégie de survie, pour éviter certains sujets sensibles, pour ne pas perdre des collaborations ou s’exposer à des représailles et tout ça. »; déclare-t-il.
Patrick évoluant au Katanga, renchérit : « J’ai personnellement été déjà contraint à prendre le gombo, sous-entendu le kawama, ou le coupage, pour combler le vide, le vide un peu plus salarial. Et quand vous ne savez pas si à la fin du mois, vous serez payé ou non, il y a quelqu’un qui vous propose quelque chose… À un moment, on a été vraiment obligé d’être en dehors de la profession, parce qu’on ne sait pas quoi faire. On ne sait pas comment vivre. En fait, en réalité, le journaliste congolais ne vit pas, mais il survit. En tout cas, la situation, elle est générale. Que ce soit à Kinshasa, que ce soit à Lubumbashi, Nord Kivu, Sud Kivu, la situation est la même. Les journalistes sont piétinés, les journalistes sont déconsidérés. » regrette-t-il.
Certains comme François, par contre affirment être catégoriques face au « coupage ». (1).
« Jusque-là je n’y touche pas. Quand je trouve que mes valeurs ne correspondent pas avec celles d’un média, je refuse catégoriquement de rejoindre l’équipe et je me tourne vers une autre structure médiatique. », nous dit-il.
Métier d’ingratitude ? Plusieurs regrettent le traitement inhumain
D’autres journalistes sont convaincus que les responsables des médias ne vivent que pour leurs propres intérêts : « .. tout ce qui compte pour les responsables des médias, c’est le gain. » , déclare David. Une réponse complétée par sa collègue Antoinette avec des mots fermes : « Non. Un employeur soucieux du bien-être de ses employés s’assurerait de fournir des contrats de travail clairs, des salaires réguliers et des conditions de travail décentes. L’absence de ces éléments peut indiquer un manque de considération pour la sécurité financière et professionnelle des journalistes, ce qui peut avoir un impact négatif sur leur moral, leur motivation et la qualité de leur travail. », dit Antoinette (1)
Une frange regrette que les charges horaires ne soient pas prises en compte : « Non, mon média ne prend pas au sérieux les droits et le bien-être des journalistes. D’autant plus que le salaire donné ne tient pas compte des charges et besoins de prestataires. », affirme Léonard au Katanga. (1)
Des regrets en cascade : « Le média pour lequel j’ai travaillé près de 7 ans ne prend au sérieux aucun droit. Si déjà aucun journaliste ne possède de contrat, donc rien n’est sérieux. Si vous ne connaissez pas votre salaire, donc vous n’aurez aucun avantage, pas de décompte. », rajoute Christian, très en colère. Benjamin pour sa part, poursuit : « Il y a souvent un manque de reconnaissance, d’encadrement légal et de soutiens face aux risques que nous prenons souvent sur le terrain. », dit-il. (1)
Entre l’ingérence des hommes politiques dans la gestion des médias, et le manque d’implication des employeurs, le fossé est minime .
« Parfois, les médias sont dirigés par des politiques ou sont leurs propriétés. Et les DG, la majorité, ce ne sont pas des gens qui ont fait le journalisme. Ce sont des médecins, des économistes, des mécaniciens provenant de nulle part, qui ne comprennent pas ce qu’est un média, ne connaissent pas la réalité du média. Donc, ça, c’est vraiment un problème sérieux. », rappelle Héritier, journaliste basé à l’Est de la RDC (1)
» Le média où j’évolue fonctionne sur la base d’un arsenal des droits de travail et assure correctement ses devoirs en tant qu’employeur. Il fournit l’effort de respecter nos droits et veille sur notre bien-être selon ses capacités actuelles. Je pense que c’est pour préserver la qualité du travail. », affirme Grâce , (1)
Dans ce même ordre, d’autres comme Syntiche, renchérissent : « Mon contrat m’offre un cadre, mais il reste des lacunes sur la sécurité sociale et physique, les primes de risque ou le soutien psychologique. » dit-elle.
Tous les responsables des médias cités par nos sources n’ont pas accepté de répondre à nos sollicitations. Si les uns, joints au téléphone, n’ont réservé aucune suite favorable à nos demandes, d’autres par contre ont laissé nos demandes sans réponse.
La République Démocratique du Congo comptait en 2023, 571 organes de presse, 625 radios et 387 chaînes de télévision, sans oublier les médias en ligne. Pourtant, malgré cette pluralité, la majorité de ces médias fonctionnent dans l’irrégularité, sans cahier des charges, sans grille des programmes adéquates et sans l’avis de conformité du CSAC. Selon Radio Okapi, seulement 40 % de ces médias respectent la réglementation en vigueur. Cette situation déplorable reflète la précarité persistante des journalistes congolais, qui, privés de conditions de travail stables et de rémunération décente, peinent à exercer leur métier dans des conditions dignes. Au-delà des chiffres, c’est la qualité de l’information qui en souffre, mettant en péril l’intégrité du paysage médiatique et, par extension, le bon fonctionnement de la démocratie en RDC.