Brazzaville, 8h du matin. Achille Tchikabaka, pantalon noir et chemise à rayures bleues avec une veste au -dessus, pousse la porte d’une petite salle rédaction de la capitale. Les murs sont usés par le temps, les coupures d’électricité sont fréquentes, et les d’ordinateurs fatigués ne fonctionnent pas. Achille est journaliste depuis une vingtaine d’années: il n’a pas de contrat de travail depuis qu’il est dans le métier. Il ne touche pas de salaire à la fin du mois. Il vient quand même. Par passion. Par engagement. Pour survie aussi.
Il fait partie de cette armée invisible de professionnels de l’information qui tiennent encore debout, au prix de mille sacrifices.
Un métier, une vocation… sans protection
Dans les médias privés congolais, la précarité est devenue une norme dans beaucoup de médias. Pas de couverture sociale. Pas d’assurance maladie. Pas de matériel. Pas de salaire. « On est abandonnés. Par l’État. Par nos propres patrons »,
«Les journalistes des médias publics sont bien traités que ceux du privé qui vivent dans une pauvreté qui ne dit pas son nom. Les gens n’ont pas de salaire, et viennent travailler sans espérer quelque chose à la fin du mois » affirme Achille Tchikabaka, la voix lasse mais déterminée.
Comme lui, des dizaines de journalistes, souvent jeunes, formés à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, travaillent sans sécurité sociale. Leur métier est devenu un pari quotidien entre engagement et découragement.
Corruption rampante, déontologie piétinée
« Si on tend une enveloppe de 10 000 ou 20 000 francs CFA à un journaliste affamé, il ne dira pas non, et il sera obligé de voir différemment sa façon de traiter le sujet », explique, sans détour, Albert Miandzoukouta, professeur à l’université Marien-Ngouabi et directeur de publication du journal La Semaine Africaine. Puis « Ce n’est pas un choix, c’est une conséquence car le journaliste doit vivre et faire vive sa famille, et il va trouver les moyens là où ils sont offerts », déclare-t-il.
Des lois en vitrine, mais jamais dans les poches
Pourtant, le Congo-Brazzaville n’est pas un désert législatif. La loi n°08-2001 encadre la liberté de la presse. Une convention collective, négociée de longue date, fixe les salaires et les statuts dans le secteur. « Mais ces textes dorment dans les tiroirs », dénonce Chrysostome Zonzeka, journaliste et chargé de communication de l’association Journalisme Éthique Congo. « Les patrons de presse privée n’en tiennent aucun compte. Et l’État ferme les yeux. »
Dans ces conditions, les journalistes travaillent sans garanties, sans recours, sans reconnaissance.
Un soutien public à deux vitesses
Le mécanisme de la redevance audiovisuelle (RAV), censé soutenir les médias, est un autre symbole de cette inégalité structurelle. Prélevée à travers les factures d’électricité des ménages, elle ne profite qu’aux médias publics, quand elle leur est reversée.
« Ce ne sont pourtant pas les seuls à informer », rappelle Marna Julie Mankene, directrice d’informations de Vox TV, précisant qu’ « il est temps de revoir cette injustice. »
Une liberté de la presse… sous condition
Officiellement, la liberté de la communication est protégée. Joachim Mbanza, membre du Conseil supérieur de la liberté de communication (CSLC), le rappelle : « La loi est claire. La liberté existe, mais elle est encadrée. »
Sur le terrain, pourtant, les journalistes savent que certains sujets ne doivent pas être abordés. Les menaces sont parfois subtiles, parfois frontales. « Il faut être honnête : on ne peut pas traiter certaines informations sans danger car le journaliste sait à quel risque il s’exposer », avoue Alphonse Ndongo, avec franchise. Le pouvoir surveille, et les lignes rouges sont connues de tous.
Le doute qui ronge la relève
Face à ce tableau, une question se répand dans les écoles de journalisme : cela vaut-il encore la peine de choisir cette voie ? « La précarité des médias au Congo poussent certains à se demander s’ils doivent vraiment poursuivre dans cette carrière sachant que les médias ont été fragilisés déjà pendant la période de la vache grasse, à combien plus forte raison pendant la période de la vache maigre ? », s’interroge Ndongo.
Quand le métier devient synonyme de galère, d’humiliation ou de peur, c’est toute une vocation qui s’éteint doucement.
« Plusieurs mettent l’accent sur les médias privés, mais on oublie que même dans les médias publics, il y a des problèmes qui freinent le rendement qualitatif escompté par le grand public », rajoute Alphonse Ndongo.
« Les journalistes évoluant au sein des médias publics sont pris en charge par l’Etat « , affirme pour sa part Zonzecka.
« Malgré l’élaboration de la convention collective , elle peine à être appliquée par les patrons de presse. Les journalistes évoluant au sein des médias privés n’ont pas d’assurance. Ils risquent leur santé, leur sécurité, leur intégrité pour faire vivre une information souvent invisible. Pourtant, ils continuent d’écrire. De dénoncer. De creuser. Parce qu’informer est un devoir. Parce qu’une démocratie sans presse libre est une coquille vide. », conclut Chrysostome Zonzecka.
Mais jusqu’à quand pourront-ils continuer sans soutien ?
La République du Congo a une presse. Encore faut-il qu’elle puisse respirer.