Il est vêtu d’un treillis militaire parfaitement ajusté, un béret rouge vissé sur la tête. Ninon Gouamba, député du Parti Congolais du Travail (PCT), marche fièrement devant une foule de ses partisans venus en grand nombre prendre part au match de gala Derby 2026 organisé le 23 février dernier à Brazzaville .
Celui qui se fait appeler « Général Ninon Gouamba, Commandant des troupes de Denis Sassou Nguesso », dans un discours martial et enflammé, fait vibrer l’assemblée en invitant la jeunesse présente à baliser la voie pour leur candidat, pas encore déclaré officiellement, à la prochaine présidentielle de 2026.
Mais au-delà de l’effervescence sportive et militante, un détail ne passe pas inaperçu : l’élu arbore une tenue militaire, comme souvent dans plusieurs de ses sorties, et ce, en violation flagrante de l’Ordonnance n° 62-24 du 16 octobre 1962, qui interdit aux civils le port d’uniformes militaires.
Dans un pays où le cadre légal semble pourtant clair sur cette question, comment expliquer qu’un député de la majorité présidentielle puisse s’afficher ainsi, en toute impunité ?
Fact-Check Congo a enquêté sur cette affaire qui met en lumière non seulement une possible banalisation de la loi, mais aussi l’exemplarité des élus face aux textes en vigueur.
Une loi toujours en vigueur
Adoptée en 1962, l’Ordonnance n° 62-24 régit le régime des matériels de guerre, des armes et des munitions en République du Congo. Son article 2 classe les tenues militaires dans la 2ᵉ catégorie de matériels de guerre, ce qui signifie qu’elles sont strictement réservées aux forces armées et de sécurité.
L’article 31 de cette loi prévoit des sanctions allant jusqu’à un an de prison et une amende de 300 000 FCFA contre toute personne portant une tenue militaire sans en avoir le droit.
Selon Dr Espoir Azede AMBOMBI, Formateur instructeur à l’école nationale supérieure de police du Congo et enseignant à l’université Marien Ngouabi, en l’absence d’un texte abrogeant ou modifiant cette ordonnance, elle demeure applicable dans son intégralité.
« L’ordonnance 62-24 de 1962, interdit clairement le port de tenue militaire. Le contexte du service obligatoire pour des civils qui à l’époque, pouvait être vu comme une exception est écartée aujourd’hui. Pour le cas de Ninon GOUAMBA, député national, les procédures légales peuvent inéluctablement être engagées, sauf s’il y a démonstration contraire, par expert en la matière. Le procureur de la République, comme gendarme de l’éradication des infractions, bénéficie naturellement de l’opportunité de poursuites dans le cas d’espèce », a -t-il déclaré à Fact-Check Congo.
En théorie, donc, le député Ninon Gouamba devrait être poursuivi pour cette infraction. Mais en pratique, aucun mécanisme de contrôle ou de sanction n’a été activé à son encontre.
L’exemplarité des élus en question
Ce qui interpelle dans cette affaire, selon les personnes interrogées, ce n’est pas uniquement la violation de la loi, mais le fait qu’elle soit commise par un représentant du peuple. En tant que membre du Parti Congolais du Travail, parti au pouvoir, Ninon Gouamba devrait être un modèle en matière de respect des textes législatifs.
Pour Valda Saint-Val, journaliste congolais, cette situation est préoccupante :
« Tenue militaire et béret rouge vissé, il n’est pas inquiété ! Aucunement ! Est-ce que le procureur ne pouvait-il pas s’en saisir ? Car, ce monsieur n’est qu’un vrai hors la loi. Lui qui est censé voter les lois à l’assemblée ! Il devrait être rappelé à l’ordre au moins », dit-il à Fact-Check Congo.
De son côté, Amédée Deleau Loemba, activiste de la société civile, interpelle l’Assemblée nationale :
« Ce député siège dans une institution censée légiférer et protéger la légalité républicaine. Comment peut-il prêter serment de défendre les lois et, en même temps, les bafouer ? Il devrait y avoir une réaction officielle. Cela eut été un citoyen lambda arborant ces tenues et se targuant du titre de général, il aurait été interpellé sans autre forme de procès ! », a-t-il déclaré à Fact-Check Congo.
M. Loemba estime que le port des tenues militaires par cet élu du peuple est une forme d’intimidation :
« À travers l’action publique de l’honorable Ninon Gouamba de porter la tenue militaire lors des meetings politiques dédiés au Patriarche Denis Sassou Nguesso, nous voyons la campagne d’intimidation envers les défenseurs du droit congolais. Son action envoie un message comme quoi le recours à la violence avec l’arsenal militaire sera fait, et que la répression sera bien sanglante »,conclut-il.
Un point de vue que partagent certains internautes sur les diverses publications sur Méta relatives à cette situation comme le montrent ces captures.
Le député se justifie maladroitement
Interpellé sur cette polémique, Ninon Gouamba a tenté de justifier ses actes sur sa page officielle sur Méta, anciennement Facebook :
« Les vêtements que je porte ne relèvent en aucun cas de cette catégorie. Il s’agit de tenues d’inspiration « Streetwear Military Style », autrement appelées Pentagone, un style vestimentaire largement répandu et disponible sur le marché national. Assimiler ces vêtements à des uniformes militaires réglementaires relève d’une confusion qui mérite d’être dissipée.», peut-on lire dans sa déclaration.
Une déclaration qui ne convainc pas Dr Espoir Azede AMBOMBI, qui estime qu’il n’est pas question de perception, mais plutôt question de légalité :
« Etant donné que cette loi interdit aux civils le port de l’uniforme militaire, et que c’est un député qui le fait, sauf contre-expertise de cette tenue, cela montre à suffisance que les gens qui votent les lois au Congo ne maîtrisent pas la portée des textes et ne font pas d’effort de comprendre le poids de la responsabilité qu’ils ont », ajoute-t-il.
Fact-Check Congo a essayé en vain d’obtenir la réaction non seulement du Parti Congolais du travail, mais aussi de certains députés membres de la majorité ou de l’opposition, qui n’ont pas répondu à nos sollicitations sur le sujet.
Cette affaire met en lumière un deux poids, deux mesures dans l’application des lois en République du Congo. Si un citoyen lambda était interpellé en tenue militaire, il risquerait immédiatement des poursuites. Pourquoi alors un député en exercice échappe-t-il aux sanctions ?
À ce jour, aucune procédure disciplinaire ou judiciaire n’a été engagée contre le député. Pourtant, d’autres pays appliquent strictement des lois similaires.
Conclusion
L’Ordonnance n° 62-24 du 16 octobre 1962 demeure en vigueur et doit être respectée par tous, y compris les représentants du peuple. L’affaire Ninon Gouamba souligne les disparités dans l’application des lois et la nécessité de garantir l’égalité devant la justice. Le respect du cadre légal est un pilier de la démocratie, et il incombe aux autorités de démontrer qu’aucun citoyen, même un député, n’est au-dessus des lois.